Se venger, se prémunir, surveiller : à quoi sert la prison ?

Modifié par Clemni

L'emprisonnement fait partie de l'arsenal des peines. Pour autant, il n'a pas toujours existé et son instauration participe de l'évolution générale des mœurs et de l'intolérance sociale vis-à-vis de la violence, fût-elle la violence légale dont l'État, selon l'expression du sociologue Max Weber, « revendique avec succès le monopole de la violence physique légitime ».

L'ouvrage de Cesare Beccaria (1738-1794), Des délits et des peines, publié en 1764, est considéré comme un tournant dans l'histoire des peines. Dans ce texte, Beccaria propose une nouvelle approche de la justice pénale, qui met l'accent sur la prévention et la réhabilitation des délinquants plutôt que sur la vengeance et la punition. Il suggère que la peine doit être proportionnelle au crime et que l'emprisonnement peut être une alternative plus efficace à la peine de mort ou aux sévices corporels. Selon Cesare Beccaria, la prison devient ainsi un moyen de corriger les individus et de les réintégrer dans la société, plutôt que de les punir pour avoir commis un crime.

Cesare Beccaria écrit :

  • « Les lois seules peuvent fixer les peines de chaque délit, et [...] le droit de faire des lois pénales ne peut résider que dans la personne du législateur, qui représente toute la société unie par un contrat social. » (III)
  • « La cruauté des peines produit encore deux résultats funestes, contraires au but de leur établissement, qui est de prévenir le crime. Premièrement, il est très difficile d’établir une juste proportion entre les délits et les peines ; car, quoiqu’une cruauté industrieuse ait multiplié les espèces des tourments, aucun supplice ne peut passer le dernier degré de la force humaine, limitée par la sensibilité et l’organisation du corps de l’homme. En second lieu, les supplices les plus horribles peuvent mener quelquefois à l’impunité. Si les lois sont cruelles, ou elles seront bientôt changées, ou elles ne pourront plus agir, et laisseront le crime impuni. » (XV)
  • « L’intérêt de tous n’est pas seulement qu’il se commette peu de crimes, mais encore que les délits les plus funestes à la société soient les plus rares. Les moyens que la législation emploie pour empêcher les crimes doivent donc être plus forts, à mesure que le délit est plus contraire au bien public, et peut devenir plus commun. On doit donc mettre une proportion entre les délits et les peines. » (XIII)

L'idée de justice des peines rompt avec la tradition de la vengeance, qui considère la peine comme un moyen de satisfaire la justice et de venger la victime. Un peu plus tard, dans sa Propédeutique philosophique de 1810, Friedrich Hegel (1770-1831) distingue la justice de la vengeance en soulignant que la justice est une forme de raison, de rationalité, tandis que la vengeance n'est qu'une manière de réaction émotionnelle.

Dans son ouvrage Surveiller et punir, publié en 1975, Michel Foucault (1926-1984) met en garde contre les velléités de surveillance et de maîtrise qu'implique la prison. Selon lui, la prison est un instrument de contrôle social qui permet aux puissants de surveiller et de maîtriser les dominés, et qui renforce les inégalités et les hiérarchies sociales. Il souligne que la prison est un lieu où les individus sont soumis à une surveillance permanente et où ils sont réduits à l'état de sujets passifs, ce qui les rend vulnérables à la manipulation et à la domination.

Questions

  • À partir de la lecture des extraits reproduits ci-dessus, montrez quel est le but des peines et pourquoi Cesare Beccaria préconise « une proportion entre les crimes et les délits ».
  • En quoi la prison pourrait-elle mieux répondre à l'exigence de justice que les peines corporelles, et à quelle(s) condition(s) ?

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